Il y a ceux qui sont là au bon moment et qui remplissent toutes les cases du Kairos, c’est-à-dire qui saisissent l’opportunité de l’instant T et qui, grâce à cela, s’envolent. Et puis il y a tous ceux qui, pour des raisons diverses – expliquées ou non – sont frappées par la malchance et qui auront beau briller, seront toujours à côté et auront un destin tragique. C’est le cas du Paquebot Normandie, ce joyau de 60 000 tonnes et long de 313 mètres mis à l’eau en octobre 1932 devant 200 000 spectateurs.
Ce jour-là, lorsque le bateau le plus rapide du monde – une fierté française – touche l’eau pour la première fois, il provoque une vague immense qui s’abat sur une centaine de personnes. Personne n’est blessé heureusement mais certains y verront un signe. Comme dit la sagesse populaire « Quand ça veut pas, ça veut pas ! » .
Ce joyau se veut plus luxueux que ses prédécesseurs, et ses créateurs ont fait appel à tous les grands artistes du mobilier de l’époque, pour offrir à sa riche clientèle, une expérience inoubliable. Découvrez ici un échantillon des meubles qui ont participé à la renommée du paquebot.
Sommaire
Retour sur la création du paquebot Le Normandie
Une lumière dans le chaos d’après-guerre
Le projet du « Normandie » nait en 1926, en plein effervescence des Années folles, celles ou après le drame et les privations de la première guerre mondiale, la croissance revient, les français retrouvent le goût de vivre, celui de la culture et de la fête. C’est l’époque des premières créations de Coco Chanel, de Joséphine Baker et du boum de l’Art Déco. Paris est l’épicentre de la fête tandis que Saint Nazaire s’apprête à être celui de la construction du Normandie par des milliers d’ouvriers.
Seulement la grande histoire vient mettre le bout de son nez dans cette histoire de bateau avec la crise de 1929. Le jeudi 24 octobre, le krach boursier de New York provoque une déflagration qui va toucher l’Europe entière. L’économie française chute, le chômage explose, les crises politiques se succèdent les unes aux autres, les extrêmes font entendre leur voix de plus en plus fort. Ce contexte difficile, qualifié de marasme par les historiens, est le berceau de la construction du Normandie, dont les qualités, les chefs d’œuvre de mobilier et de décoration, le luxe incroyable seront comme une lumière dans le chaos des années 30.
Des records à n’en plus finir
Le Normandie, mis en service à partir du port du Havre en 1935, est plus long que la Tour Eiffel, plus rapide que ses concurrents, possède une salle à manger plus vaste que la Galerie des Glaces du Château de Versailles et plus de robinets à incendie que le Musée du Louvre ! Les superlatifs de la presse sont légion : Normandie a « des proportions colossales », il est « une magnifique synthèse de l’esprit national » ou encore « le porte-parole du génie français ». Il reçoit le ruban bleu qui récompense la traversée la plus rapide de l’Atlantique dès son voyage inaugural.
Des décors à couper le souffle
Le Normandie qui peut accueillir 1971 passagers et 1400 membres d’équipage est surnommé « le paquebot des élites » car la première classe y est prédominante : 848 passagers occupent 70% du navire et chacune des cabines possède sa propre décoration (certaines cabines bénéficient même d’une véranda donnant sur la mer !). Le confort et le luxe y sont spectaculaires. Par exemple, dans la salle à manger 1ère classe qui mesure 86 mètres de long, 6000 dalles de verre recouvrent ses parois et viennent refléter la lumière des luminaires.
Mais ce n’est pas tout, car les noms des artistes ont de quoi donner des frissons… Les dalles de verre ont été réalisées par celui qui les a inventées, le maître verrier Auguste Labouret tandis que les luminaires sont signés René Lalique. Les services de table n’ont rien à leur envier puisqu’ils sont des créations de grands noms comme Christofle pour l’orfèvrerie ou Haviland pour la porcelaine. Les fauteuils, quant à eux, œuvres des établissements Neveu et Nelson et mis en lumière par le décorateur Jean Patout, sont des chefs d’œuvre en bois sombre et aux dossiers ornés de bêtes sauvages mêlés à l’emblème de la Normandie.
Quels ont été les meubles du paquebot Le Normandie ?
Les luminaires du paquebot par Jean Perzel
Jean Perzel est un maître verrier de l’époque Art Déco, qui, par son avant-garde et sa créativité, va laisser une empreinte forte dans le domaine de la décoration. Il est choisi, entre autres, pour designer de nombreux luminaires du paquebot. Notons, par exemple, la création d’un plafonnier, qui ornait l’une des prestigieuses salles à manger du paquebot. Avec sa monture en bronze et son verre opalin, il constituait ne pièce forte de l’ameublement du bateau.
Mais à côté de cela, Jean Perzel a aussi pu créer de nombreux luminaires pour les cabines, mais aussi pour l’escalier du grand salon. Aujourd’hui, les descendant de Jean Perzel continuent l’activité et la maison Perzel créer toujours des luminaires haut de gamme.
Les fauteuils de Jules Leleu dans Le Normandy
Visibles aujourd’hui au musée des années 30 situé à Boulogne-Billancourt, les fauteuils particulièrement élégants de Jules Leleu, en acajou massif, ont meublé la salle à manger de l’une des cabines luxueuses du Normandie, l’appartement “Trouville”. Ces chaises élégantes reprennent les codes des années 30.
Jules Leleu, depuis les années 1910, réalise des meubles en bois précieux et se créer une réputation d’artiste expert auprès des grandes familles Françaises mais aussi après des professionnels. Aujourd’hui encore, à l’instar de la Maison Perzel, la Maison Leleu existe et est dirigée par ses descendants.
Les fauteuils de Léon Jallot et ses tissu aux motifs animaliers
Léon Jallot est un sculpteur et ébéniste Français. Si certains de ses travaux suivent les codes de l’art Nouveau, il a toutefois repris les codes de l’Art Deco dès les années 1920. C’est dans ce contexte qu’il créer plusieurs fauteuils pour meubler le paquebot Le Normandie. Il a notamment pu créer des fauteuils recouverts de peau de veaux ou de zèbre, visibles sur ces images.
Les commodes de Jean Pascaud pour la suite luxueuse “Dieppe”
Jean Pascaud est un concepteur de meubles. Ses travaux reprennent également les codes connus du courant des années folles. C’est dans ce contexte qu’en 1934, il décore la suite “Dieppe” du paquebot. On peut notamment noter la conception de commode à portes en noyer et placage de noyer.
Le mobilier de Jean Dunand
Figure majeure de l’Art déco, Jean Dunand (1877- 1942 ) est un artiste aux multiples talents passé maître dans l’art de la dinanderie, ce travail artistique du métal en feuille par martelage. Il est un virtuose de la laque qu’il marie au métal pour en revêtir bijoux, meubles ou panneaux. En 50 ans de carrière, il a créé plus de 1200 œuvres.
Zoom sur le mobilier du fumoir
Prenons maintenant la direction du Fumoir, « l’icône du luxe dans le plus beau des navires », où trône « La Conquête du cheval », un ensemble de 18 panneaux en laque or de Jean Dunand.
Les chaises, qui permettaient de s’asseoir dans ce fumoir, sont signées Jean-Maurice Rothschild, ce designer formé à l’école Boulle, grand spécialiste des chauffeuses confortables et de tables basses dont les pieds sont ornés de têtes en bois sculpté. Il a également dessiné le décor d’un panneau laqué pour l’une des cabines de 1ère classe.
Une fin de film pour le paquebot
Lorsque survient la seconde guerre mondiale en septembre 1939, le Normandie est immobilisé dans le port de New York puis réquisitionné en 1941, lorsque les États-Unis entrent en guerre, afin d’être aménagé pour le transport de troupes. Tous les décors sont démontés et le mobilier placé dans un garde meuble jusqu’à ce que tout puisse reprendre sa place une fois le conflit terminé. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi car en 1942, durant les travaux d’aménagement, un incendie se déclare à bord. Et Le Normandie coule dans le port de New-York, après seulement 69 traversées Aller-Retour.
Certaines des pièces qui ont pu être récupérées sont exposées à l’Écomusée de Saint Nazaire tandis que d’autres ont été vendues aux enchères.