Dans la famille des meubles célèbres, le Wikimeubles vous plonge dans l’univers feutré des lieux de plaisir de la Belle Epoque où mobilier rime avec audace et intimité… 8 mai 1951- Si l’on fêta bien l’armistice ce jour là, un autre événement dont vous n’avez certainement pas eu vent se déroula au 12 rue Chabanais, dans le 2ème arrondissement de Paris, près du Palais-Royal. Une vente aux enchères peu ordinaire est en cours, celle des meubles de ce haut-lieu luxueux de l’encanaillement : la maison close le Chabanais. De 1877 à 1946, les membres de la haute société du monde entier y eurent une table, voire une chambre à l’instar du Prince de Galles, et l’intelligentsia aima se délecter de cette ambiance coquine.
Illustration – crédit photo “Film L’Apollonide : Souvenirs de la maison close”
Si le quotidien des maisons closes est aussi atypique, c’est en grande partie pour le mobilier qui s’y trouve. Plus qu’accessoire, ce dernier prend toute sa part dans les instants partagés par les amants… Rendez-vous à l’abri des regards dans ce milieu parisien excentrique et chic à la découverte des 3 plus beaux meubles des maisons closes !
Sommaire
Fauteuil d’amour du Prince de Galles
Fameux fauteuil du Prince de Galles – Portrait du Roi Edouard VII
Drôle de meuble à fonction que ce siège là. Le fauteuil d’amour, ou chaise de volupté pour les plus romantiques, était une pièce de mobilier hors du commun. Un meuble hybride qui peut prendre l’air d’un fauteuil gynécologique avec ses étriers et accoudoirs mais à y regarder de plus près, plus de doute sur l’usage !
Commandé par le futur Roi Edouard VII en 1890 à l’ébéniste Louis Soubrier, sous le pseudonyme baron Renfrew, le fauteuil d’amour prend place dans la chambre hindoue du Chabanais, à côté d’autres pièces aux appellations aussi exotiques que la décoration qu’elles renferment : mauresque, vénitienne, orientale, etc.
Le fauteuil d’amour ne comprend pas moins de deux étages, signe que le meuble peut être utilisé… à plus de deux ! Doté de luxueuses assises matelassées au tissu japonisant, (fin travail de tapissier), le fauteuil incurvé détient toutes les caractéristiques du style Louis XVI.
Si la taille paraît impressionnante, ce n’est ni plus ni moins que pour correspondre au gabarit du futur roi qui pouvait alors aisément tester de nombreuses positions et multiplier les partenaires.
Qu’est devenu le fauteuil d’amour ?
Un temps détenu par Alain Vian, le frère de l’écrivain, le fauteuil d’Edouard VII passe par l’hôtel Drouot avant d’être revendu à la famille de l’ébéniste Louis Soubrier en 1992. A noter qu’il existe deux répliques du fauteuil dans le monde, l’une est exposée dans un musée à Prague et l’autre est à vendre chez un antiquaire à la Nouvelle-Orléans (USA) pour la somme de 68 000$.
Le lit de parade de Valtesse de la Bigne
Lit à baldaquin de Valtesse de la Bigne exposé au Musée des Arts Décoratifs depuis 1911
Excentrique, exotique, voluptueux : à l’image de la vie des courtisanes les plus courues de la capitale par les grands hommes du XIX et XXème siècles, le lit de Valtesse de la Bigne s’inscrit parfaitement dans le cadre de sa fonction.
De son vrai nom Emile-Louise Delabigne, qui se fera appeler Valtesse pour “Votre Altesse”, la courtisane se forgea une réputation sulfureuse, celle de demi-mondaine. Maîtresse du compositeur Jacques Offenbach pendant la guerre franco-prussienne, Valtesse jette ensuite son dévolu sur un prince et s’arrange pour profiter de ses largesses avant de le quitter et d’enchaîner les conquêtes. Le prince de Sagan accepta de financer son hôtel particulier boulevard Malesherbes.
C’est dans cet hôtel que Valtesse fit installer son célèbre lit de parade en 1875. Réalisé par Edouard Lièvre sur le modèle des lits de parade royaux séparés par une balustrade du reste de la chambre et rehaussé par une estrade, le lit à baldaquin est constitué d’un bâti en bois, de bronze doré et de velours vert. A défaut de balustrade séparant la chambre en deux espaces distincts, Valtesse fait placer la balustrade autour du lit avec une valeur symbolique : cet espace est celui des amants.
Celle que l’on surnommait “la lionne” détenait son propre blason, un V, soutenu par deux amours potelés visible au chevet du lit. Des masques de faunes sont placés de part et d’autre du blason ainsi qu’au sommet du baldaquin.
Détails de la tête de lit avec le blason V
Le lit de parade, une inspiration pour Emile Zola
Au cours des dîners mondains organisés par Valtesse, Emile Zola fut autorisé à voir son lit qui s’inspira de ce décor dans son ouvrage le plus scandaleux, Nana. On raconte que Valtesse fut très insatisfaite à la lecture de l’ouvrage, considérant la fameuse héroïne comme “une vulgaire catin , sotte et grossière !”.
Le lit de la Païva
Salon de l’hôtel de la Païva – 25 avenue des Champs-Elysées à Paris
Une autre demi-mondaine (formée par Valtesse de La Bigne) marqua l’histoire des maisons closes parisiennes au cours de la Belle Epoque, Esther Lachmann surnommée la Païva. Née à Moscou en 1819, elle rejoint Paris dans les années 1840. Très vite, les rencontres amoureuses se multiplient. En 1851, Esther se marie au marquis de Païva qui lui offre un bel hôtel place Saint-Georges à Paris . Dès le lendemain du mariage, la sulfureuse Esther fait savoir au marquis que chacun ayant obtenu ce qu’il voulait, rien ne nécessitait qu’ils restent ensemble. Le marquis rentre au Portugal, Esther conserve le titre de “marquise de Païva”.
En 1852, la chance tourne à nouveau en faveur de la Païva qui entretient cette fois-ci une relation avec le cousin du chancelier allemand Bismarck. Ce dernier ne fait ni plus ni moins que lui offrir un somptueux hôtel sur la déjà très célèbre avenue des Champs-Elysées pour dix millions de francs or, une fortune ! Avec un style Renaissance, l’hôtel est flamboyant.
Lit coquillage et portrait de la Païva
Côté mobilier, il est à l’image de l’hôtel et du train de vie menée par la Païva. A lui seul symbole de la courtisanerie du XIXème siècle, le lit de la marquise. Sculpté dans un bois d’acajou, le meuble se fait oeuvre d’art. En forme de coquillage, le lit semble flotter. Tiré par des cygnes et surmonté par une sirène, le lit présente aussi Vénus, très représentée dans la peinture nue du Second Empire. Cette représentation divine n’est autre que la Païva elle-même qui aurait accueilli dans ce lit de nombreux hommes dont Toulouse Lautrec.
Peinture signée Toulouse Lautrec : Salon de la rue des moulins 1894 – 1895
L’importance du mobilier dans les maisons closes
Les maisons closes, aussi appelées “bordels” en argotique, ont marqué de nombreuses époques et cultures à travers le monde. Si leur existence même était un sujet de controverse, la décoration intérieure et le choix du mobilier ne l’étaient pas moins. Chaque meuble avait un rôle spécifique, tantôt fonctionnel, tantôt symbolique. Ils reflétaient non seulement le statut et la réputation de l’établissement, mais aussi les goûts et les fantasmes de la clientèle. Ces pièces de mobilier n’étaient pas choisies au hasard : elles étaient le reflet d’une histoire, d’une époque et d’un art de vivre particulier.
Symbolisme et signification des meubles
Le mobilier des maisons closes porte en lui une symbolique profonde, façonnée par l’intention et la nécessité. Chaque meuble, du plus ostentatoire au plus discret, servait à la fois une fonction pratique et une signification cachée. Les divans luxueux, par exemple, n’étaient pas simplement des assises, mais évoquaient le prestige et l’opulence de la maison.
Les miroirs, omniprésents, amplifiaient l’érotisme par un jeu de reflets, permettant à la fois introspection et exhibition. Les éclairages tamisés, couplés à des meubles aux formes voluptueuses, créaient une ambiance de mystère et de séduction. La sélection méticuleuse des couleurs, tissus et motifs racontait une histoire, jouant sur les désirs et les fantasmes des visiteurs.
Au-delà de leur simple utilité, ces meubles étaient de véritables acteurs, participant activement à la mise en scène d’un univers à part, où l’imaginaire était constamment sollicité.
L’artisanat derrière ces pièces uniques
Derrière le mobilier des maisons closes se cachait un artisanat d’exception. Chaque meuble était le résultat d’une collaboration étroite entre ébénistes, sculpteurs et artisans du textile. Le choix des matériaux, comme le bois précieux ou le velours riche, témoignait d’une quête d’excellence. Les détails finement ciselés et les motifs brodés à la main reflétaient le dévouement et la passion des artisans.
Ces meubles, bien plus que de simples objets, étaient des œuvres d’art conçues pour résister au temps tout en offrant confort et élégance. L’attention portée à chaque détail, de la courbure d’une jambe de table à la nuance d’un tissu, traduisait l’importance du prestige dans ces établissements, et l’aspiration à offrir une expérience inégalée à leur clientèle.
L’évolution du mobilier des maisons closes au fil du temps
Au fil des siècles, le mobilier des maisons closes a évolué, reflétant les courants artistiques et les évolutions socioculturelles. Au 19ème siècle, sous l’influence du style rococo et de la Belle Époque, l’opulence était de mise avec des formes voluptueuses et des ornements détaillés. L’avènement de l’Art Nouveau au début du 20ème siècle introduisit des lignes plus fluides, inspirées de la nature, tandis que l’Art Déco préférait la géométrie et l’épure. Après la Seconde Guerre mondiale, une tendance vers la simplification et la modernité se manifesta, privilégiant la fonction sur la forme. Ces transitions ne sont pas de simples caprices esthétiques : elles témoignent des aspirations changeantes de la société, des notions fluctuantes de luxure et d’intimité, et de la capacité des maisons closes à se réinventer en réponse à l’époque qu’elles servaient.
L’influence culturelle des maisons closes sur l’art et la littérature
Les maisons closes, bien plus que de simples lieux de débauche, ont été des creusets d’inspiration pour de nombreux artistes et écrivains. Au carrefour de la sensualité, du mystère et de la réalité sociale, elles ont offert une toile de fond riche en émotions et en contrastes. L’aura qui entoure ces établissements a capturé l’imaginaire de générations, se frayant un chemin dans la peinture, la littérature et bien d’autres formes d’expression artistique.
Les maisons closes dans la peinture
Les peintres, fascinés par l’atmosphère unique des maisons closes, ont souvent représenté ces espaces de luxure et d’intimité. Des artistes comme Henri de Toulouse-Lautrec et Edgar Degas ont immortalisé la vie intérieure de ces établissements, mettant en lumière tant la beauté que la mélancolie des femmes qui y travaillaient. Leurs toiles dépeignent souvent des scènes candides, capturant des moments de repos, de rire, mais aussi de réflexion. L’emploi de couleurs chaudes, les jeux d’ombres et de lumières, tout concourt à créer une ambiance à la fois sensuelle et mélancolique. Ces œuvres, bien au-delà de leur esthétique, offrent une perspective profonde sur la condition humaine dans le contexte particulier des maisons closes.
Les maisons closes dans la littérature
L’univers des maisons closes a également nourri la littérature, offrant aux écrivains un terrain fertile pour explorer les thèmes de la passion, de la désillusion et des relations humaines. Des œuvres comme “Nana” d’Émile Zola ou “La Dame aux Camélias” d’Alexandre Dumas fils plongent le lecteur dans l’ambiance feutrée et parfois tragique de ces établissements.
Les personnages, souvent des femmes prises entre le désir de liberté et les contraintes de la société, deviennent des symboles puissants des luttes internes et externes. Leurs histoires, à la fois poignantes et provocantes, sont une exploration des désirs inavoués, des tabous sociaux et des complexités de l’âme humaine, le tout sur fond d’un univers aussi séduisant qu’impitoyable.
FAQ :
Quelles sont les autres meubles notables des maisons closes ?
Outre les divans et les miroirs, plusieurs autres meubles étaient caractéristiques des maisons closes. Les coiffeuses ornées, dotées de multiples tiroirs, servaient à ranger les produits de beauté et les bijoux. Les paravents, souvent richement décorés, permettaient de créer une intimité ou de diviser des espaces. Les chaises longues offraient un lieu de repos ou de détente, tandis que les bars et les étagères exposaient des boissons et des objets de séduction. Les lits, souvent majestueux et dotés de draperies, étaient bien sûr centraux à l’activité des lieux.
Quelle était la fonction principale du mobilier dans les maisons closes ?
La fonction principale du mobilier dans les maisons closes était double : servir l’aspect pratique des activités tout en créant une ambiance. Le mobilier devait offrir confort et fonctionnalité pour les travailleuses et les clients, mais également évoquer luxe, érotisme et intimité. Chaque pièce était soigneusement choisie pour sa capacité à mettre en scène un fantasme, à créer une atmosphère particulière et à répondre aux besoins pratiques du quotidien.
Y a-t-il des musées où l’on peut voir ces meubles aujourd’hui ?
Oui, plusieurs musées à travers le monde exposent des objets et du mobilier provenant des maisons closes, témoignant de leur riche histoire. Le Musée de l’Érotisme à Paris, par exemple, contient des salles reconstituées et des pièces d’époque. D’autres musées, tels que le Red Light Secrets à Amsterdam, offrent un aperçu de la vie dans les quartiers chauds et exposent divers objets et meubles. De plus, certains musées d’art ou d’histoire locale peuvent avoir dans leurs collections des pièces liées à ce pan souvent méconnu de l’histoire sociale.
Comment ces meubles étaient-ils entretenus et conservés ?
L’entretien des meubles des maisons closes était essentiel pour maintenir l’atmosphère luxueuse et séduisante des lieux.
Ces pièces étaient régulièrement nettoyées, dépoussiérées et polies pour conserver leur éclat. Les textiles, tels que les draperies, les coussins et les tapis, étaient souvent battus et aérés pour garder leur fraîcheur. Les éraflures ou les dommages étaient rapidement réparés, souvent par des artisans locaux.
En outre, la cire, les huiles et les autres produits de conservation étaient utilisés pour protéger le bois et les finitions métalliques. Cet entretien rigoureux garantissait non seulement la durabilité des meubles, mais aussi le confort et le plaisir des clients.
Quelle est la différence entre le mobilier des maisons closes et celui des maisons bourgeoises de la même époque ?
Bien que le mobilier des maisons closes et des maisons bourgeoises de la même époque puisse partager certains styles ou matériaux, leur finalité et leur symbolique différaient grandement.
Dans les maisons closes, le mobilier était conçu pour évoquer sensualité, mystère et érotisme, avec des formes voluptueuses, des couleurs riches et des éclairages tamisés. Dans les maisons bourgeoises, le mobilier reflétait souvent le statut social, la richesse et le goût raffiné de la famille.
Les pièces étaient plus centrées sur la représentation de la famille, avec un accent sur la formalité, la tradition et l’élégance. Alors que le mobilier des maisons closes cherchait à créer un univers de fantasme, celui des maisons bourgeoises visait à affirmer une position sociale.