Contempler son image… voilà bien une idée présente depuis l’Antiquité ! Déjà dans le mythologie grecque, Narcisse, réputé pour sa grande beauté et ne trouvant d’attrait chez personne d’autre que lui-même, se noie dans les eaux d’un fleuve après avoir essayé d’embrasser son reflet.
Ce destin tragique – aussi mythique soit-il – n’a pas empêché les Hommes de toujours chercher à obtenir le meilleur reflet d’eux-mêmes jusqu’à ce que ce geste, fatal pour certains, devienne quotidien pour chacun d’entre nous. Les miroirs sont aujourd’hui présents dans tous les intérieurs, dans les extérieurs aussi, les boutiques, les restaurants… tous les lieux où les hommes sont susceptibles d’avoir besoin de se contempler ou de se rassurer.
Si les premiers reflets connus datent de plusieurs milliers d’années avant J.-C, surfaces polies d’obsidiennes par exemple, il faut attendre la Renaissance pour voir apparaître les premiers véritables miroirs.
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Au début du miroir était le verre
La pâte de verre, inventée par les égyptiens, en mélangeant du carbonate de sodium avec du sable, se répand en Méditerranée et arrive à Venise où se multiplient des ateliers de verrerie dès le VIIIème siècle.
A l’époque, il ne fait pas bon vivre tout à côté car les fours sont allumés en permanence et les habitations, en bois, prennent trop souvent feu. Pour résoudre le problème, les autorités prennent la décision au XIIIème siècle de délocaliser les ateliers sur l’île de Murano.
Déjà, chaque famille conserve jalousement ses secrets de fabrication et les fonctionnements sont très codifiés : savoir-faire sont transmis de père en fils, le nombre d’ouvriers est contrôlé et les fours ont désormais un calendrier de chauffe.
Ce sont dans ces ateliers, dont les productions de verre aux 300 couleurs (plats, lustres, bijoux…), sont déjà appréciées et recherchées par les toutes les cours d’Europe, que naissent les premiers miroirs.
Les premiers miroirs, au mercure
Deux éléments sont indispensables pour fabriquer un miroir : d’abord une plaque de verre parfaitement claire et ensuite une surface réfléchissante et c’est là que le problème se pose… Mais il se trouve qu’au XVème siècle, les fabricants découvrent et utilisent un amalgame d’étain et de mercure, lequel appliqué derrière le verre, devient un miroir. Il va sans dire que cette technique révolutionnaire, fort dangereuse pour la santé, est gardée secrète par les maîtres verriers de Murano. A l’époque, 300 ateliers existent sur l’île et certaines familles, comme les Ballarin, sont encore à l’œuvre aujourd’hui.
La Sérénissime veille jalousement sur ses maîtres verriers et si elle leur accorde un certain nombre de privilèges comme celui de porter l’épée ou le droit de se marier avec les familles les plus puissantes de la ville, elle leur interdit aussi de quitter Venise. Il ne s’agirait pas que leur merveilleux savoir-faire tombe entre d’autres mains. Il arrivera même un moment où seront condamnés à mort ceux qui auraient la mauvaise idée de s’installer ailleurs.
Il faut dire que leurs grands miroirs – ils sont les seuls à savoir les fabriquer – émerveillent les monarques de toute l’Europe. Il va sans dire que ces objets, bien trop couteux pour le commun des mortels, sont réservés à l’aristocratie.
La Galerie des Glaces, le miroir dans toute sa splendeur
Depuis 1661 et la mort du cardinal Mazarin, le jeune Louis XIV gouverne seul et décide de faire de Versailles le plus beau des palais, symbole de sa puissance et siège de la cour. Les travaux sont pharaoniques et vont durer des années. Louis XIV voit grand et veut les plus beaux matériaux, les plus beaux objets, la plus belle décoration… et les miroirs de Murano !
C’est aussi le moment où son ministre Jean-Baptiste Colbert, très attaché à l’expansion économique du royaume, le pousse à créer des manufactures. C’est ainsi que la manufacture des glaces (qui deviendra l’entreprise Saint Gobain), créée en 1665 accueille dans ses murs les maîtres verriers de Murano préalablement débauchés par des espions envoyés par Colbert. Ce sont eux qui vont fabriquer les 357 miroirs de la galerie des glaces dont les travaux commencent en 1678.
Contrôler son image est l’apanage des puissants et Louis XIV en est un parfait exemple : dans la galerie des glaces, salle du trône de 73 mètres de long, son image se reflète dans les multiples miroirs qui répondent aux reflets des bassins des jardins dessinés par Le Notre.
Au XIXème, un nouveau procédé de fabrication du miroir naît
Il reste que la fabrication des miroirs au mercure est longue et très nocive… Au milieu du XIXème, le chimiste allemand Justus Von Liebig invente un nouveau procédé de fabrication qui va complètement changer la face du miroir. En utilisant le nitrate d’argent à la place du mercure, il ouvre la voie à la fabrication en masse et donc à la démocratisation des miroirs qui survient dans les années 1870. Le miroir devient alors un objet de l’intime – dont s’emparent prioritairement les femmes – qui prend place dans les chambres et les salles de bains. Avec l’apparition du miroir dans les intérieurs, il est désormais possible de se voir autrement que dans le regard de l’autre.
Il est intéressant de noter que quelques années plus tard, au début du XXème siècle, Freud développera le concept de narcissisme comme un amour excessif de son image associé à une dévalorisation de l’autre. Le principe du stade du miroir, qui permet à l’enfant de prendre conscience de son propre corps, sera quant à lui développé par notamment par Lacan dans les années 1930.
Aujourd’hui, les miroirs font partie de notre vie quotidienne sans même que l’on s’en rende compte. D’objets précieux, ils sont devenus usuels et l’on s’y contemple quotidiennement sans vraiment se poser de question. Et pourtant, entre histoire des savoir-faire, des objets et même des courants de pensée, le lien se fait…